Ton parcours entre le jeu vidéo et l’art est super intéressant. Qu’est-ce qui t’a poussé à naviguer entre ces deux mondes, et comment tu passes de l’un à l’autre ?
J’aime beaucoup inventer des histoires, quel que soit le format ! Ça a commencé dans la cour de récré, où je harcelais mes camarades pour qu’on joue encore une fois aux Power Rangers… et ça continue maintenant que des gens sont assez inconscients pour me laisser sans surveillance avec une tablette graphique. 😅 C’était inévitable que je me mette au jeu vidéo.
Par contre, le jeu vidéo, c’est un travail d’équipe de longue haleine, très contraignant et très fatigant. On passe autant de temps à bosser sur le jeu qu’à supplier le monde de lui faire une petite place et de nous accorder de quoi continuer un mois de plus (sans ne manger que des pâtes). Une petite illustration de temps en temps, c’est vital pour respirer et se recentrer !
Parmi toutes les œuvres que tu présentes sur Moga, il y en a forcément qui ont une histoire spéciale pour toi. Tu peux nous en parler ?
Moon est assez spécial pour moi. On peut le voir comme une illustration de fantasy, juste là pour représenter une scène cool — et c’est une lecture totalement valable — mais en le créant, j’ai voulu retranscrire une émotion plus intime : celle d’un enfant d’immigré déconnecté de ses origines.
Mon héritage cambodgien prend ici la forme de cette déesse, fascinante mais intimidante. Et dans cette scène, on ne sait pas vraiment qui est l’étranger. Le cosmonaute, avec son attirail nécessaire pour survivre, ou la créature, inhumaine mais parfaitement à l’aise dans ce décor ? Est-ce qu’il la fuit, ou essaie-t-il de l’intercepter ? Qui est l’étranger de qui ?
J’ai voulu parler de cette ambivalence, de cette sensation d’inadéquation mêlée d’attirance. J’espère que ça parlera à ceux qui ont, un jour, dû apprivoiser une part d’eux-mêmes.
Tes créatures mi-humaines mi-oiseaux sont intrigantes ! D’où te vient cette idée, et qu’est-ce qu’elles symbolisent pour toi ?
Je suis super content qu’elles captent autant l’attention, je ne m’y attendais pas ! Elles sont clairement inspirées des harpies et des sirènes de la mythologie grecque. J’adore les figures chimériques, parce qu’elles incarnent bien une réalité qu’on rencontre souvent dans le travail d’équipe (dans le jeu vidéo comme ailleurs) : à force de compromis et d’ajouts d’idées, on finit avec des « chimères », des concepts hybrides, plus riches qu’une idée pure et logique.
J’aime imaginer que mes harpies sont le fruit de siècles d’évolution, d’ingéniosité et de résistance. Des voyageuses étranges, héritières d’une culture forgée pour survivre.
Tu peux nous parler de ta collaboration avec Dead Cells ? Comment cette expérience a influencé ton approche artistique ?
Travailler sur Dead Cells m’a fait réaliser à quel point j’aimais le pixel art. C’est une contrainte super intéressante : il faut aller à l’essentiel, synthétiser au maximum pour que ça reste lisible, surtout dans un jeu nerveux avec plein d’actions à l’écran.
Et franchement, cette philosophie du « faire simple, mais efficace », elle s’applique très bien à la vie en général. 😄
Tu explores souvent les codes de l’heroic fantasy, mais tu aimes aussi les détourner. Qu’est-ce qui te plaît dans cette liberté ?
Le fantastique, c’est un super miroir déformant pour étudier notre monde. Star Wars parle d’impérialisme, X-Men des minorités opprimées, Le Seigneur des Anneaux du rejet de l’industrialisation… C’est une manière plus digeste qu’un essai philosophique pour réfléchir à nos sociétés, nos contradictions, nos désirs.
Pour moi, la fantasy doit bousculer. Elle doit nous hanter un peu, nous coller à la peau, ressurgir dans nos réflexions. Le public a déjà tué mille dragons, sauvé mille royaumes… Le vrai challenge aujourd’hui, c’est de le surprendre à nouveau. Et j’adore jouer à ce petit jeu.
Tu as relevé un sacré défi : lancer ton propre jeu narratif, Private Psychic. Comment ton travail d’artiste influence-t-il l’histoire et l’esthétique du jeu ?
Private Psychic, c’est l’histoire d’une médium qui se lance comme enquêtrice paranormale freelance… sauf qu’elle est tellement angoissée par l’avenir qu’elle n’arrive plus à le prédire. Ce qui est, tu t’en doutes, un peu handicapant pour une médium.
C’est un vécu assez proche du mien, en tant qu’artiste et développeur indépendant ! Le jeu invite à comprendre les personnages, qu’ils soient humains ou entités inhumaines aux logiques étranges. Cette démarche d’empathie, c’est aussi celle des artistes, je crois : créer des ponts, un socle commun, des outils pour que les gens apprennent à mieux se comprendre, et à mieux se connaître eux-mêmes. J’applique ça autant à mes dessins qu’à mes jeux.
Tes œuvres sur Moga sont pleines de détails captivants. Quand tu crées, tu as déjà tout en tête ou tu laisses l’imagination faire le job ?
J’arrive assez facilement à visualiser mes designs, mais honnêtement, c’est plus une question de méthode que de génie ! On part de l’émotion qu’on veut provoquer, on fait une liste de tout ce qui peut y contribuer, et on mixe les idées jusqu’à ce que ça clique.
Par exemple, pour mes harpies : je voulais qu’elles évoquent l’espoir. Celui qu’éprouverait un aventurier perdu en territoire hostile, en levant les yeux vers ces silhouettes élégantes et nobles. Leur donner des allures de chevaliers fonctionnait bien. Et puis leur casque, ultra long et pas pratique, les rend mystérieuses : comment volent-elles avec ça ? Comment passent-elles entre les branches ? Ce sont des détails qui nourrissent le sentiment d’étrangeté et de grâce.
C’est quoi la suite pour toi ? Quels univers ou thématiques as-tu envie d’explorer ?
J’ai une idée de tableaux en tête autour des scénaristes de cinéma. C’est un métier ultra important, mais trop souvent invisibilisé. Certains n’ont même pas accès aux avant-premières de leurs propres films ! On l’a bien vu avec les grèves à Hollywood récemment.
J’aimerais leur rendre hommage, montrer que sans eux, pas d’histoires. Et que ce n’est ni juste, ni souhaitable de vouloir s’en passer ou les remplacer. Je ne sais pas encore comment représenter ça visuellement… mais j’y travaille !
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec Moga ?
Parce que j’ai adoré rencontrer l’équipe et les artistes ! Ça m’a permis de retrouver le côté humain de la culture geek. Quand on bosse dans le milieu, cette passion de gosse peut vite se transformer en grosse machine un peu écrasante.
Avec Moga, j’ai eu des discussions posées, sans pression, juste autour de nos séries ou jeux préférés. Et puis ils sont à fond sur la qualité de leurs produits. En tant qu’artiste, on reçoit régulièrement des nouvelles de leurs impressions, de leurs projets, des tests de nouveaux formats… J’ai même un peu de mal à suivre tellement ça avance vite !
Si un autre artiste hésitait à rejoindre Moga, qu’est-ce que tu lui dirais pour l’encourager à se lancer ?
Aucun écran ne peut retranscrire ce que ça fait d’avoir ton tableau, en grand, imprimé en super qualité, entre les mains. Tu verras. ✨